L’Inde des Kinnar, des Hijras ou des Aravanis

Le 3e genre : Une identité vieille comme le monde

 
 
 

Temps de lecture du sujet : 8min


L’Inde des Kinnar, des Hijras ou des Aravanis

Communauté millénaire existante depuis l'Antiquité avec pour titre traditionnel celui de Tritîyâ Prakriti - signifiant « La Troisième Nature » - les Kinnar ont une longue histoire dans le sous-continent indien.

Souvent caractérisé·e·s par le nom de Hijra·s (appellation péjorative en Inde) qui a été traduit en langues occidentales par les termes eunuque, intersexé, hermaphrodites ou transgenre - des termes dont la définition marque des anomalies ou des transformations physiologiques des organes génitaux - ces spécificités physiques ne définissent pourtant pas toujours la nature des Kinnar.

En effet, bien que la plupart des Kinnar (ou des Aravani) naissent physiologiquement mâles et que l’hyperféminité caractérise leur apparence et leur présentation de soi ; dans la culture indienne, le terme Kinnar désigne des personnes considérées comme étant de sexe neutre et refusant l'appellation d'homme ou de femme. Ce terme est ainsi choisi par iels-même, au sein de leur communauté.

Semblablement à la construction du mythe des anges messagers dans nos cultures occidentales, la mythologie des Kinnar (dans l’Inde mythologique ou l’invasion moghole du VIIIe siècle après JC), les auraient originellement façonné·e·s dans la nature d’un troisième genre.

À la fois malédiction pour les uns, et don de dieu pour les autres, l’identité des Kinnar, aujourd’hui encore largement polémique et méconnue, est pourtant belle est bien une identité vieille comme le monde.


> Extraits de l’article Cairn Info “Des indiens du troisième sexe” de Flora Yacine, professeure en recherche en sciences humaines

> Extraits de l’article Wikipédia “Hijra (sous-continent indien)”


 
 
 
 
 
 

Je suis Anaïs Antonio,

créatrice de lafondamentale


Dans cet article, lafondamentale fait l’usage de pronoms neutres ou inclusifs, c’est-à-dire de pronoms qui ne font référence à aucun genre.

Pronoms masculins et féminins : lui-elle / ils-elles / celui-celle / ceux-celles

Pronoms inclusifs : iel / iels / celleux


Ces informations ont été glanées auprès de nombreux articles cités en fin de chaque paragraphe, et parus sur le sujet au cours des dernières années.

Ils ont parfois été remaniés, enrichis ou traduits par lafondamentale.


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L’Inde des Kinnar, des Hijras ou des Aravanis


Combien sont-iels dans le sous-continent indien ?

Structurée par des rituels et des mythes, les Kinnar se regroupent souvent en communautés, principalement en Inde, au Pakistan et au Bangladesh et sont à la fois craint·e·s, respecté·e·s et discriminé·e·s.

En l'absence de statistiques officielles, les chiffres varient d’une étude à l’autre mais selon les organisations qui défendent leurs droits, les Kinnar seraient aujourd’hui près de 2 millions à vivre sur le continent panindien.

Ici, Sivagami (à gauche), un·e Aravani prêtre·sse très respecté·e, chez iel entouré·e de sa famille - Photographie de Candace Feit

Dans l'État indien du Tamil Nadu, le terme de Kothi qui décrit la communauté des Aravanis (ou Kinnar), traduit un groupement d'identités et de relations traditionnelles et complexes.

Ainsi, le terme regroupe les catégories telles que :

- Les pères mariés dans un schéma hétérosexuel, mais qui ont un ou des amants masculins

- Les personnes nées de sexe masculin, qui s'habillent à la manière des femmes, et qui s’inscrivent dans un schéma comportementale de type hétérosexuel

- Les personnes nées de sexe masculin, qui s'habillent à la manière des femmes, et qui s’inscrivent dans un schéma comportementale de type homosexuel

- Les personnes de sexe masculins ayant transitionner vers une transformation chirurgicales de leurs organes vers des organes féminins.

- Et les personnes nées de sexe masculin, qui ne portent des vêtements féminins traditionnels que lors de fêtes ou de célébrations religieuses, et dans le cadre d’un statut dit “artistique” souvent lié à la pratique de la danse.

 

Ici, Sivagami (à gauche), un·e Aravani prêtre·sse très respecté·e, pose avec un·e ami·e Aravani - Photographie de Candace Feit


Appellations selon les régions :

Au Tamil Nadu, le terme Ali ou Thiru nangai signifiant « fille de Dieu » sont également largement utilisés.

Dans la langue penjabi de l'Inde et du Pakistan, ce sont les termes Khusra ou Jankha qui sont les plus utilisés.

Dans la langue gujarati, c’est enfin le terme Pavaiyaa qui est le terme le plus communément employé.

हिजड़ा en devanagari ;

ہجڑا en ourdou ;

হিজড়া en bengali ;

ಹಿಜಡಾ en kannada ;

 

హిజ్ర, కొజ్జ ou నపుంసకుడు en télougou ;

ਹਿਜੜਾ en pendjabi ;

ହିନ୍ଜଡା en odia



> Extraits de l’article Contented “In pictures: Stunning photography captures the lives of India’s queer community”

> Extraits de l’article du blog L’Identité de Genre “Exemples de transgenres dans d’autres cultures”

 
 

FLOY KROUCHI, Hijras Diaries – Journal transgenre d'une famille Hijra

Résumé :

Objet sonore en forme de kaléidoscope, aux frontières du documentaire et du Hörspiel... Tranches de vies d'une “famille Hijra“ transgenre et recomposée : célébrations, rituels, mythes, quotidien, luttes, prises de parole, interviews, confidences et témoignages, micros ouverts et poésie.

 

28 mars 2010

11m 04s

Réf. 00614

L’organisation en communauté

Les Kinnar vivent en petite communauté d'une dizaine de personnes maximum.

Iels ont un·e chef·fe spirituel·elle (un·e Gourou) qui décide de qui fait quoi et comment, qui règle les conflits et prend sous sa protection de jeunes enfants ou de jeunes gens chassé·e s de chez elleux en raison de leur malformation, de leur féminisation, de leur travestissement, de leur transformation ou de leur homosexualité.

En raison de la forte propension au conservatisme dans la société traditionnelle indienne, les Kinnar sont souvent rejetées dès leur plus jeune âge par leur famille alors qu’iels sont pour la plupart encore illettrées ou analphabètes.

Iels vivent alors d'aumônes (naissances, mariages), mais en conséquence de leur activité précaire, la plus garnde majoritée des communautés de Kinnar vivent en réalité de la prostitution - les garçons en Inde fréquentant massivement les prostituées dès l'âge de 14 ou 15 ans - iels se retrouvent ainsi frappée·s de plein fouet par le sida.

Le·la Gourou joue ainsi le plus souvent le rôle de proxénète, profitant de sa position de père·mère protecteur·trice et de son autorité naturelle.

 

> Extraits de l’article dans The Conversation “Les hijras : une communauté « transgenre » en voie de disparition ?” écrit par Mathieu Boisvert

 
 

Asha, un·e Kinnar Gourou dans sa gharana (maison) dans la vieille ville de Vadodara, Gujarat, Inde. (Stuart Freedman/Getty Images)



Castration et célébrations


La légende raconte que leur castration leur confère un pouvoir de fertilité - GAUTAM SINGH / AP / SIPA

Au temps des maharajas, les Kinnar étaient employé·e·s pour garder les harems - DANISH SIDDIQUI / REUTERS

Une opération à vif

C'est le·la Gouru qui pratique également la castration totale du disciple - c’est-à-dire l’ablation des testicules et du pénis - , le « Nirvan » étant le processus d’émasculation des hijras, considéré comme une seconde naissance. Il est important de stipuler que plus la castration se fait lorsque le sujet est jeune mieux c'est (la voix ne sera pas grave, la masse graisseuse se répartira comme celle des femmes, la barbe ne poussera pas et l'ossature restera gracile).

La castration se fait alors à vif et sans anesthésie après que le disciple se soit mis en transe par des spalmodies et des chants religieux récités par toute la communauté. On lui aura fait boire différentes décoctions ou drogues pour insensibiliser un peu et son corps et son esprit. Un fil de soie très serré sera alors passé autour du pénis et des testicules et le tout sera coupé ainsi ou à l’aide d’un couteau de rituels. Pour éviter que le canal de l'urêtre ne se referme, on y passe une paille, les humeurs et l'urine pourront s’écouler ainsi. La blessure sera ensuite cautérisée avec de l’eau bouillante.

Il est à noter qu'une grande mortalité est à dénombrer dans les 40 jours qui suivent l'intervention, la cicatrisation complète est obtenue après 43 jours. Si le·la Kinnar survit, une fête sera alors organisée en son honneur.

Son pénis sera enterré comme symbole de sa vie passée, dans un endroit sacré et avec les prières qu'il convient.


> Extrait de l’article Francetvinfo.fr “Qui sont les eunuques indiens ?” écrit par Elodie Drouard

 

Rituel du pooja - Photographie de Candace Feit

Un·e Aravani - Photographie de Candace Feit

Rituel du pooja - Photographie de Candace Feit

Le rite fondateur des Kinnar

Dans une scène du Mahābhārata, une incarnation de Krishna

Une fois par an, par une nuit de pleine lune, à Koovagam, village du Sud de l'Inde (dans l’état du Tamil Nadu), une centaine de milliers de Kinnar viennent célébrer leur rite fondateur en rejouant une scène du Mahâbhârata.


Le Mahābhārata ou Mahâbhârata (en sanskrit महाभारत)

Le Mahābhārata est un livre sacré de l'Inde datant des derniers siècles av. J.-.C. C’est une épopée sanskrite (itihâsa) de la mythologie hindoue qui relate la « Grande Geste » des Bhārata, contant des hauts faits guerriers entre deux branches d'une famille royale : les Pandava et leurs cousins, les Kaurava, pour la conquête du pays des Arya, au nord du Gange.

Il est considéré comme le plus grand poème jamais composé.

 
 
 

>> Lassés de la guerre fratricide qui déchire les Kaurava et les Pandava, les dieux décident que le clan vainqueur sera celui qui sacrifiera un jeune homme. Le prince Aravan (des Pandavas) se propose alors, mais demande qu'on lui accorde de s'unir à une jolie femme pour sa dernière nuit de vie avant sa décapitation.

Comme aucun père ne veut condamner sa fille à un veuvage précoce, le dieu Krishna, se transforme et s'incarne alors en femme enchanteresse, offrant ainsi à Aravan une dernière nuit d'extase.

Le matin de la cérémonie, les Kinnar, devenues veuves, pleurent leur amant décapité et s'adonnent à toutes sortes de pratiques divinatoires pour commémorer l'union d'un dieu homme devenu femme.

Le Mahabharata comprend un épisode dans lequel Arjuna, un héros de l'épopée, est exilé. Il assume alors une identité d'eunuque-travesti et effectue des rituels lors des mariages et des accouchements que les hijras sont censés perpétuer aujourd'hui


Le festival du désert de Jaisalmer (Rajashtan).

Des Kinnar en transe au festival de Koovagam.

Des Kinnar au festival de Koovagam.


Perception et superstition


La “Lok Rang Noor Art troupe” originaire du Penjab, Inde, photographiée par Ilyes Griyeb pour le Vogue India de March 2022

La “Lok Rang Noor Art troupe” originaire de la région du Penjab est par exemple, une troupe de danse Giddha très réputée.

En incarnant le malheur et la souffrance, les Kinnar se voient, par compensation, conférer des dons par la société indienne.

Les Kinnar sont donc un statut spécifique et ambivalent ; iels auraient à la fois le don de porter aussi bien bonheur que malheur en direction de ceux qui les méprisent.

Considérés par les hindous comme ayant un pouvoir de fertilité, ils sont ainsi conviés aux mariages et viennent bénir dans les familles les nouveau-nés mâles, moyennant une rémunération âprement négociée.

La “Lok Rang Noor Art troupe” originaire du Penjab, Inde, photographiée par Ilyes Griyeb pour le Vogue India de March 2022

La “Lok Rang Noor Art troupe” originaire du Penjab, Inde, photographiée par Ilyes Griyeb pour le Vogue India de March 2022


Quelques dates à retenir

  • En 2008, l'État du Tamil Nadu a reconnu l'existence d'un troisième sexe  : sur les papiers d'identité, on peut désormais cocher M (male), F (female) ou T (transsexual). Cela leur confère ainsi l’accès au droit de vote, et à la carte de rationnement (imposée dans toute l'Inde lors de la dernière guerre de frontière avec la Chine) ; bien que cela ne semble pas avoir d’incidence sur leurs stigmatisation et discrimination.

  • En avril 2014, en Inde, la Cour suprême a reconnu les Kinnar, les personnes transgenres, les eunuques et les personnes intersexes comme un « troisième genre » en droit. Les Kinnar ont également obtenu cette reconnaissance au Bangladesh où ils bénéficient de quotas favorables dans l'éducation.


 > Extraits de l’article du Huffington Post “Hijras: The Transgender Goddesses” de Lukáš Houdek

 
 

FIN

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Ressources autour de la thématique


Textiles traditionnels - Collection Karun Thakar


Circa 1450-1650, technique d’impression au block print, sur étoffe en coton - Origine : Gujarat - Karun Thakar Collection

“The Herb Picker” chintz avec motifs peints à la main, 17e siècle - Origine : Sri Lanka - Karun Thakar Collection

Chintz Somana Tuppotiya avec motifs floraux “Racemes” bleu acier peints à la main, fin 18e-début 19e siècle - Origine : Sri Lanka - Karun Thakar Collection

Textile d’ameublement, 19e siècle - Origine : Sri Lanka - Karun Thakar Collection

“Mata Hari” chintz cérémonial avec motifs peints à la main, 18e-19e siècle - Origine : Indonésie - Karun Thakar Collection

Détail d’un palampore, tapisserie décorative, 1700-25e siècle - Origine : Sri Lanka - Karun Thakar Collection

Détail : étoffe cérémoniale, 17e siècle - Origine : Gujarat - Karun Thakar Collection

“Le canopée” chintz avec motifs peints à la main, fin 18e - début 19e siècle - Origine : Sri Lanka - Karun Thakar Collection

Chintz avec motifs peints à la main, 18e siècle - Origine : Sri Lanka - Karun Thakar Collection

“Mata Hari” chintz cérémonial avec motifs peints à la main, 18e-19e siècle - Origine : Indonésie - Karun Thakar Collection

Étoffe cérémoniale, 17e siècle - Origine : Gujarat - Karun Thakar Collection

Palampore, tapisserie décorative, 1700-25e siècle - Origine : Sri Lanka - Karun Thakar Collection


Documentaires


“Between the lines” EN ou “Des saris et des hommes” FR Documentaire de Thomas Wartmann

Synopsis

Une immersion troublante et remarquable dans l'univers ambigu des hijras, hommes devenus femmes qui vivent en marge de la société indienne.

Bombay. La jeune photographe Anita Khemka fait ses premiers pas dans le monde secret et complexe des hijras. Ces hommes maquillés et revêtus de saris, eunuques pour la plupart, sont rejetés par leurs familles et vivent depuis toujours aux marges de la société indienne dans des communautés très hiérarchisées. Les hijras s'habillent et se comportent comme des femmes. Bien qu'investies d'un pouvoir qui leur permet de bénir les nouveau-nés - et aussi de jeter des sorts -, elles sont régulièrement agressées. Elles sont aussi souvent acculées à la mendicité et à la prostitution. En témoin attentive et candide, Anita pénètre l'intimité de trois d'entre elles : Asha, rencontrée sur la promenade longeant Mumbai Beach alors qu'elle menaçait de montrer son sexe à un couple qui lui refusait l'aumône ; Rambha, mendiante et gogo dancer très féminine qui vit dans un temple avec ses soeurs hijras et son gourou ; et le flamboyant Laxmi, qui mène une double vie : professeur de danse et jeune homme bien sous tous rapports, il se transforme en gourou prostituée hors du domicile familial...

 
 
 
 
 

Guru, une famille hijra - Documentaire réalisée par Axelle le Dauphin et Laurie Colson

Laurie Colson et Axelle Le Dauphin ont travaillé pendant quatre ans à la préparation d’un documentaire sur les hijras. Elles sont retournées en Inde chaque année afin d’établir un contact suivi avec les hijras qu’elles avaient rencontrées, et l’une d’entre elles a fini par les mener à celle qui constitue le cœur et la clé de voûte de leur projet : Lakshmi Ma, une guru autour de laquelle est constitué un petit clan de sept chelas.

Non contentes de filmer de l’extérieur cette communauté difficile à approcher ou saisir, elles ont emménagé pendant cinq mois chez Lakshmi Ma et ses chelas, partagé leur quotidien et accumulé près de 90 heures de rushs.

Le documentaire à venir, GURU : portrait d’une famille hijra, s’annonce à la fois riche et touchant, et on espère qu’il remplira ses promesses de nous faire plonger dans l’intimité et l’expérience quotidienne de hijras dont on sait si peu, et tant de choses contradictoires.


Revues


Des indiens du troisième sexe par Flora Yacine

Revue Sciences humaines

DOSSIER : LES IDENTITÉS SEXUELLES

Mensuel N° 235 - Mars 2012

La « nature » nous attribuerait-elle un sexe, masculin ou féminin, qui déterminerait définitivement notre identité sexuelle ? Ou faut-il, comme l’avancent les tenants des études de genre, privilégier le rôle de l’éducation, de la culture, des normes sociales dans la construction de ces identités ? Cette polémique fait l’objet de vifs débats dans la communauté intellectuelle et scientifique. Et si tous avaient à la fois tort et raison ? Car cette opposition binaire (nature/culture) paraît aujourd’hui voler en éclat. 

 
 

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