Les pêcheuses Ama

 
 

Ama 海女, signifie littéralement "femmes de la mer"

 

L'histoire des Ama prend naissance il y a 3000 ans, dans l'archipel japonais, sur l'île d'Oshima.

Des archives des plongeuses Ama, remontent à 927 après JC pendant la période Heian au Japon. Le recueil de poèmes Man'yōshū (première anthologie de waka, poésie japonaise) datée du VIIIe siècle, les mentionne explicitement, évoquant notamment les plongeuses de la baie de Nago sur l'île d'Okinawa.

À cette époque, le Japon vivait dans une quasi-autosuffisance, ignorant superbement le monde occidental pendant de nombreuses années.

Les Ama plongeaient originellement pour pêcher des algues, des huîtres et des ormeaux. Partout dans les eaux côtières du Japon, d'Hokkaido à Okinawa, habitent ces femmes dont l'existence est interdépendante avec celle de l'océan.

Avec leurs consœurs sud-coréennes, les haenyo de l'île Jeju-do, elles demeurent les seules au monde à pratiquer une activité ancestrale de pêche en apnée pour leur propre subsistance.

À l'origine, les Ama vivaient librement de leur pêche sans obligation de rapport à qui que ce soit, vêtues du fundoshi traditionnel et d’un bandeau pour tenir leurs cheveux - leur nudité n'étant ni honteuse ni sexuelle - elles vivaient ainsi dans leur communauté composée majoritairement d’autres femmes Ama, et de leurs enfants.


Découvrez l’article de l’anthropologue Ok-Kyung Pak, sur “Les plongeuses jamnyo (haenyo) de Jeju en Corée”


 

Temps de lecture : 16min 38s


lafondamentale est heureuse de collaborer avec les collectivités locales de la préfecture de Mie (Japon) ainsi qu’avec les organismes de tourisme de la ville de Toba dans le partage de ses recherches sur la tradition des pêcheuses Ama et dans la promotion du patrimoine culturel japonais auprès des publics français et étrangers.

Pour plus d’informations, vous pouvez contacter Pauline Casaux , coordinatrice des relations internationales de la ville de Toba : pauline-c@city.toba.lg.jp


Ces informations ont été glanées auprès de nombreux articles cités en fin de chaque paragraphe, et parus sur le sujet au cours des dernières années.

Ils ont été remaniés, enrichis et parfois traduits par lafondamentale.

Les images sont elles, extraites des trois ouvrages cités en bas de page.


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La plongée en apnée

Traditionnellement, et même aussi récemment que dans les années 1965-1970, les Ama plongeaient sans équipement de plongée ni bouteilles d'air, ce qui en fait des plongeuses libres dites “apnéistes traditionnelles”.

Elles devaient endurer des conditions difficiles lors de la plongée, telles que des températures glaciales et de fortes pressions provenant des profondeurs de la mer (parfois jusqu’à 20 mètres de profondeur).

Toutefois, elles connaissent moins d'accidents que d'autres catégories d'apnéistes professionnels car elles utilisent une technique qui leur ai propre et au cours de laquelle elles n'hyperventilent pas.

En effet, les Ama pratiquent une technique de respiration au cours de laquelle les plongeuses -lorsqu'elles refont surface entre les plongées profondes - libèrent l'air dans un long sifflement. Ce sifflement est alors devenu une caractéristique déterminante des Ama car cette technique leur est unique.

Ce son de respiration est un son à la fois aigu et reposant connu sous le nom d'isobu ou isobue (le sifflet marin).

Écouter le son du Isobue ICI

 

Les outils des Ama

- Isomegane ou Mīkagan (lunettes)

- Ichigan Megane (lunettes monoculaires)

- Isonomi (burins)

- Kaginomi (burins incurvés)

- Tanpo (nasse reliée à une bouée)

- Awabiokoshi (outil traditionnellement fabriqué en bois d’andouiller utilisé pour extraire les ormeaux des récifs et retirer leur coquilles)

- Isodaru (baril de plage en bois cerclé)

- Isooke (seau de plage en bois cerclé)


Les différents style de pêche Ama

- La pêche Kachido : style de pêche au cours de laquelle une plongeuse Ama pêche seule. La pêcheuse Ama peut alors se rendre du rivage jusqu’au lieu de pêche à la nage ou bien prendre, en groupe avec d’autres Ama, un bateau jusqu’au lieu de pêche défini.

- La pêche Funado : style de pêche au cours de laquelle une Ama et un matelot (appelé Tomae) travaillent ensemble. La plongeuse Ama descend alors à l’aide d’un lest et remonte à la surface (assistée par le Tomae) avec une corde qu’elle porte à la taille.

Généralement, une Ama Funado plonge ainsi beaucoup plus profondément dans la mer qu’une Ama Kachido.


La promesse de ne pas tout prendre

Les Ama se soumettent à de nombreuses restrictions de pêche qu’elles respectent scrupuleusement.

Par exemple, les ormeaux de moins de 10,6 cm ne peuvent pas être pêchés. Elles ne pêchent pas non plus de petits sazae (escargots turban), oursins et concombre de mer.

De plus, étant donné que les algues sont une source de nourriture majeure pour les ormeaux et les escargots turban, les Ama restreignent leurs récoltes à des saisons pré-déterminées, à un certain nombre de jours de pêche ainsi qu’à des emplacements spécifiques.


> Extrait et traduction de l’article : “Call of the Isobu: Japan’s Traditional Ama Endure the Ages” paru dans le Underwater 360° Magazine, Divers’ digest en Mars 2016

> Extrait de l’article : “Les Ama de la péninsule de Shima”


 
 

La question du genre

A l'époque Edo, des hommes Ama se regroupent afin de profiter d'un commerce lucratif de coquillages séchés exportés vers la Chine.

Toutefois, l'activité demeure majoritairement féminine et la raison de la prédominance féminine dans le métier continue d'échapper à la fois aux universitaires, aux anthropologues et aux autres habitants des côtes.

Historiquement, différentes théories expliquent ce phénomène. Certains suggèrent que dans les temps anciens, les femmes restaient près du rivage en l'absence de leurs maris navigateurs.

Elles se seraient mises à plonger à la recherche d'algues et de crustacés et, par conséquent, la tradition a été transmise à leur progéniture féminine.

La croyance toutefois largement répandue - racontée par une plongeuse Ama de 80 ans dans la préfecture de Mie - est que les femmes sont biologiquement en meilleure capacité de résister au froid et donc capables de rester dans l'eau plus longtemps, ce qui entraîne des prises plus importantes.

Leurs corps, paré d'une richesse du tissu adipeux sous-cutanée plus importante, leur conférant ainsi une plus grande protection thermique et un avantage naturel sur les hommes pour cette activité.

Une étude de Holm et coll. réalisée sur une population d’Ama du village de Chikura (sud-est de Tokyo) indique bel et bien l’existence d’une mixité parmis les Ama japonais•ses.


“L'apnée: de la théorie à la pratique” publié aux presses universitaires de Rouen et du Havre sous la direction de
Frédéric Lemaître

 
 

Abalone Divers off the Coast of Ise - Kunisada 1832

 

Devoir et superstition

Les femmes commencent à plonger en tant qu'Ama dès l'âge de 12 et 13 ans, avec l’enseignement d’une aînée Ama. Malgré leur début précoce, les plongeuses sont connues pour être actives jusqu'à 75-80 ans.

On dit que les Ama vivent plus longtemps en raison de leur forme physique.

Le monde des Ama est toutefois marqué par le devoir et la superstition. Leurs foulards sont ornés de symboles tels que le seiman (symbole en forme d’étoile réalisée d’un seul trait) et le douman (amulette d’un moine Kuji) qui ont pour fonction de conjurer le mal et de porter chance aux plongeuses.

Les Ama sont également connues pour créer de petits sanctuaires près de leur site de plongée où elles se rendent après la plongée afin de remercier les dieux pour leur retour en toute sécurité.

 

Fêtes et offrandes

La mer qui apporte ses dons n’étant pas toujours calme et paisible, les Ama croient que de nombreux démons se cachent dans la mer.

En début et milieu de saison de pêche, elles organisent ainsi de nombreuses fêtes pour le dieu de la mer (le festival de la plage - le Hama Matsuri, le festival du déversement de la mer - le Shiokake Matsuri et le festival Shirongo Matsuri), priant pour de belles prises et une plongée en sécurité.


Le froid pour ennemi

Le grand ennemi des Ama est le froid. Elles utilisent encore un feu appelé Kamado ou Hiba lorsqu’il est placé au centre de la hutte (appelées ama goya).

Avant et après les plongées, les Ama s’assoient autour du feu pour réchauffer leur corps jusqu’à la moelle.

La hutte est un lieu très important où les Ama font des siestes, prennent leur repas, et bavardent entre camarades Ama.


> Extrait de l’article : “Les Ama de la péninsule de Shima”



“Ama – Les pêcheuses de perles” par la compagnie de danse Medulla à La Manufacture CDCN, Manufacture de chaussures – Bordeaux (6 janvier 2019)

Présentation : Trois danseuses de butô contemporain et un musicien plongent dans les entrailles de l’océan pour rencontrer les Amas. Au Japon, cette communauté de femmes pêcheuses refuse d’utiliser la technologie pour sillonner les sols marins à la recherche de perles nacrées. Elles préfèrent perpétuer la pratique millénaire de l’apnée, dans une relation plus risquée mais aussi plus sincère avec le monde. Avec délicatesse et intensité Ama se questionne : comment explorer, dans nos profondeurs, ce qui nous est le plus précieux ?


Imaginaire occidental et folklore japonais

Bien que généralement représentées comme des jeunes filles nues vivant sur les rives les plus exotiques du Japon, la réalité des Ama est bien différente ;

Trop musclées pour être perçues comme féminines, trop bavardes pour être discrètes, les plongeuses Ama sont en effet bien loin de l’image folklorique de la femme japonaise qui serait à la fois douce et docile.

Considérées tour à tour comme objets de fantasme, femmes d’affaire émérites, sirènes érotiques ou garçons manqués, dans l'imaginaire occidental, les Ama ont souvent été associées à tord à la pêche à la perle, en lien avec la technique de culture innovante des huîtres perlières mise au point à Toba à la fin du XIXe siècle par Mikimoto Kōkichi.

En réalité, les Ama ont toujours plongé à la recherche d'aliments (pour leur consommation et/ou la vente) tels que les algues, les escargots de mer, les pieuvres, les ormeaux, et parfois même les homards.

La communauté Ama

Une grande solidarité unit les Ama entre elles, qui partent en petit groupe sur un bateau, mutualisant leur frais et gardant un oeil bienveillant sur les enfants des unes et des autres, tout en pêchant individuellement.

Le métier de plongeuse Ama offre ainsi aux femmes une indépendance financière à des périodes où peu de choix s'offraient à elles.

Les Ama sont réputés pour leur tempérament de feu, et leur activité a même redéfini les logiques du ménage traditionnel, puisque ce sont elles qui font vivre le foyer dans une société où l’homme est censé subvenir au besoin de la famille.

Piliers financier du ménage, elles ont également, dans certaines régions, un important pouvoir religieux.

 

Et ce sont encore aujourd’hui les seules femmes à jouer un rôle de premier plan au même titre que les élus municipaux dans les processions locales en l’honneur de la déesse Amaterasu, la déesse du soleil dont elles détiendraient la protection.


> Extrait de Japan Experience : “Ama : les plongeuses artisanales japonaises” paru le 10/01/2020


 
 
 
 

Des plongeuses Ama devant leur huttes (appelées Ama goya).

Des plongeuses Ama devant leur huttes (appelées Ama goya).

 
 

Le déclin de la tradition

En 2003, on dénombrait environ 2000 plongeuses Ama toujours en activité ; l'âge moyen des plongeuses étant de 67 ans.

Leur communauté rétrécit d'année en année faute de renouvellement car les filles d'aujourd'hui ne veulent plus exercer cette activité fatigante, dangereuse et désormais peu rémunératrice car ne pouvant être pratiquée que dans certaines zones, à certaines périodes de l'année - afin de sauvegarder les ressources.

Avec le déclin de cette tradition, dû entre autres à la surpêche, certaines Ama travaillent ainsi jusqu'à plus de 90 ans.

Actuellement, la plupart utilisent des combinaisons intégrales, mais continuent de plonger en apnée.


En 2017, la pêche pratiquée par les Ama a été désignée patrimoine immatériel de l'humanité par l'UNESCO.


> Extrait de “LES AMA, REINES DE L'APNÉE 海女”, La Maison de la culture du Japon à Paris.


Source : The Female Abalone Divers of Japan, photographie par Nina Poppe - Slate

 

Source : The Female Abalone Divers of Japan, photographie par Nina Poppe - Slate

Source : The Female Abalone Divers of Japan - Slate

 
 

À Wagu, un village de pêcheurs de la péninsule d'Ise, Matsumi, Mayumi et Masumi plongent tous les jours sans savoir ce qu'ils vont trouver. Sous l'eau, leurs corps délicats se transforment en ceux de chasseurs marins.

2016 | DOCUMENTARY | 113’ | 16:9 | HD | Co-Production with Mira Films (Switzerland), SGRS
(Switzerland), Flying Pillow (Germany) | Funding : ICA/MC; RTP.

 
 
 

FIN

 

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Ressources iconographiques


Livres

 

1.

“Ama no Gunzo” par le photographe Yoshiyuki Iwase, 1ère édition 1983, 158 pages

Dimensions : 25,8 x 25,8 cm

 
 

2.

“The Island of the Fisherwomen” par Fosco Maraini, 95 pages, édité par Harcourt, Brace and Company, New York, 1962

 

3.

“Hekura: The diving girls’ island“ par Fosco Maraini, édition Hamish Hamilton, 1962

 
 
 
 
 

commentaires

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Laura Borée

Hyper inspirant comme toujours, merci pour le contenu que vous proposez

 

Marine Billet

Ma coloc a absolument adoré le sujet sur les plongeuses Ama !!!

Emilie Lavialle

Les pionnières, une vraie communauté de femmes, les film Ama-San est une révélation! 🙌🏻

Rachèle Raoult

Je les adore !!!