Paris quartier Latin & les rythmes de l’Orient

L’histoire des cabarets arabo-orientaux, du vieux Paris

 
 
 
 
 

Je suis Anaïs Antonio,

créatrice de lafondamentale


Les informations qui figurent dans ce sujet ont été glanées auprès de nombreux articles cités en fin de chaque paragraphe, et parus sur la thématique au cours des dernières années.

Un grand merci à Hajer Ben Boubaker, historienne et chercheuse indépendante sur l’histoire des musiques arabes et des luttes ouvrières de l’immigration nord-africaine, pour la découverte au travers de son excellent podcast @vintagearab


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Plongée dans l’histoire des cabarets arabo-orientaux du vieux Paris ; un temps ou le Paris du quartier Latin chantait les rythmes de l’Orient.


Temps de lecture du sujet : 12min


 

Souvenir du temps où Paris chantait

 

Si dans le quartier de Pigalle, les cabarets russes fondés par les aristocrates ayant fui la révolution de 1917 tenaient le pavé ;

Des années 1930 jusqu’aux années 1970, c’est dans le quartier latin du Paris Rive Gauche que fleurissaient les cabarets arabo-orientaux qui, durant des décennies, enchantèrent les nuits de la capitale.

Aujourd'hui, lieu chargé d'histoire associé à la culture bon chic bon genre ; à l’époque, le quartier St-Michel de Paris est un quartier d’immigration populaire, notamment en raison des nombreux hôtels qui y accueillent les travailleurs immigrés.

Les cafés algériens, pour commencer, nombreux dans la capitale mais aussi en province, constituent à la fois les premiers lieux de socialisation, d’entraide, d’échange et de convivialité pour les exilés.

Dès les années 40, les Caf’Conc’ (café-concerts) organisés dans les salles et les bars parisiens rencontrent l’engouement des immigrés du Maghreb car c'est dans cet exil parisien que la musique populaire de l'Afrique du Nord a gagné en exposition et en création.


> Extraits de l’article “Spectacle : Cabaret Tam Tam réveille les nuits orientales” de paru dans le point le 05/03/2016

> Extraits de l’épisode “Quand la musique sert l’émancipation des immigrés et de leurs enfants” dans l’émission Maghreb Express produite par Médiapart le 28 février 2021 à 14h57


 

La troupe Bachetarzi (Motribia) avec Marie Soussan (assise), Driss le flutiste, Mimoun le pianiste, Azoulay le qanoundji, Bachtarzi (au centre en blanc) et Rachid Ksentini.

 

L’immigration maghrébine en France

Un contexte historique

L’histoire de l’immigration venue d’Afrique du Nord présente à la fois des traits communs aux migrations algérienne, marocaine et tunisienne, que ce soit dans les rythmes et les causes de l’émigration/immigration où celle de leur installation en France, et des caractéristiques qui permettent de les distinguer d’autres origines migratoires, notamment le lien avec la situation coloniale et post-coloniale.

Contrairement à une idée reçue, l’histoire des migrations du Maghreb vers la France ne commence pas avec la deuxième moitié du vingtième siècle. Elle s’inscrit dans un temps bien plus long, même si la période des Trente Glorieuses et le moment des décolonisations connaissent l’accélération de ce courant migratoire.

Jusqu’aux années 1930, l’Afrique du Nord est d’abord une terre d’immigration (ainsi que de migrations interrégionales) plus que d’émigration.

On sait combien l’Algérie coloniale, notamment, attira des centaines de milliers d’Européens, qui allaient former la composante « pied-noir » de la population.

Mais l’aggravation de la paupérisation des populations autochtones et rurales, couplée à l’augmentation de la population, provoquent, dès la fin du XIXe siècle, un double mouvement d’exode rural et d’émigration en dehors des frontières, dans un contexte colonial puisque l’Algérie est colonie française depuis 1830 (devenue département dès 1848), la Tunisie et le Maroc des protectorats depuis respectivement 1881 et 1912.

L’immigration en provenance du Maghreb (dite nord-africaine à l’époque) est ainsi une immigration ancienne en France.

Dans une entreprise, on fête la fin de l’année avec un méchoui, un classique de la cuisine nord-africaine qui sera intégré à la gastronomie pied-noire. ©GAROFALO Jack / Paris Match

Une française d’Algérie faisant ses courses sur un marché de Bab El Oued, quartier d’Alger où vivent de nombreux pieds-noirs © GAROFALO Jack / Paris Match

Ce mouvement migratoire de l’entre-deux-guerres s’inscrit dans une période de très forte immigration, puisque la France est, dans les années 20, le premier pays d’immigration du monde, devant les États-Unis.


> Extraits du dossier enseignant “Générations, un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins en France”, document pédagogique de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration en collaboration avec l’association Génériques


 
 

Le café de la rue Maître Albert 1955. Photographie. © Pierre Boulat / Cosmos / Musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration, CNHI

Foyer de travailleurs nord-africains, Puteaux, 1950 © Paul Almasy / Akg-images / Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration, CNHI

M. et Mme Messaoudi dans leur épicerie. Années 50, Levallois-Perret © Collection particulière

N/C

Les Nords Africains à Paris, 1955 - Le bureau d'embauche : Vérification des papiers © Pierre Boulat

Les Nords Africains à Paris, 1955 - Coupe de cheveux dans un café © Pierre Boulat

Les Nords Africains à Paris, 1955 - Dans le bidon-ville de Nanterre © Pierre Boulat

Ouvrier agricole nord-africain en France. Vers 1939 © LAPI / Roger Viollet

 
 

Les travailleurs nord-africains

Au début du XXe siècle , les premières générations de travailleurs maghrébins qui se sont installés participent à la construction du métro parisien (avec les ouvriers venus de la Kabylie). Les mines du Nord et de Normandie recruteront elles, plusieurs milliers d'algériens et de marocains.

Durant la Première Guerre Mondiale, 300 000 soldats originaires du Maghreb sont mobilisés et 130 000 ouvriers remplacent les Français partis à la guerre. Trente mille Maghrébins meurent au front. La mosquée de Paris est édifiée en 1926 en hommage de la Nation.

Dans les années 1920, l'arrivée des immigrés s'accélère, mais, avec la crise des années 1930, le nombre de retours se renforce.

Au début des années 1950, l'industrie française recrute en masse par le biais de programmes d’insertions ébauchés dans la hâte. C’est dans ce contexte que l’immigration maghrébine, très majoritairement masculine, explose réellement.

Des centaines de milliers de travailleurs immigrés afflux, venant seuls pour une durée déterminée afin de faire vivre leur famille restée en Algérie. Dans la force de l'âge, ces ouvriers participeront à la croissance des Trente Glorieuses, en particulier dans les secteurs du BTP et de l'automobile, en comblant ainsi le manque de main-d'œuvre en métropole.


> Extraits de l’article “L'immigration algérienne en France dans la guerre d'indépendance“ disponible à la médiathèque de l’INA

> Extraits de l’article “L'immigration maghrébine en France” publié le 13/11/2009 au journal La Croix


 

Un ouvrier maghrébin, France, 1957

Au sens strict, les « sujets » et « protégés » algériens ou marocains ne sont pas des « immigrés », puisqu’il ne sont pas des étrangers (ils ont la nationalité française, mais pas la citoyenneté) ;

 
 

Inauguration de la Grande Mosquée de Paris le 15 juillet 1926, en présence du Sultan Yusuf du Maroc, Abdelqader Bin Ghabrit, Muhammad al-Muqri et Gaston Doumergue - Crédit : Agence Rol, sous licence Creative Commons

Inauguration de la Grande Mosquée de Paris (1926) - ©Ministère de la Culture, Médiathèque de l'architecture et du patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Henri Manuel

Inauguration de la Grande Mosquée de Paris (1926) - ©Ministère de la Culture, Médiathèque de l'architecture et du patrimoine, Dist. RMN-Grand Palais / Henri Manuel

 
 

La Seconde Guerre Mondiale

Musique, culture & solidarité

Le très populaire cabaret El Djazaïr (nom que portait l’Algérie avant 1830), situé rue de la Huchette dans le 5e arrondissement de Paris, est l’un des premiers établissements ouverts avant la Seconde Guerre mondiale.

La masse industrieuse des chantiers de la capitale s’y rend régulièrement et allègrement, et bien que d’apparence silencieuse et docile, elle s’organise et se structure de façon remarquablement solidaire.

Des tontines sont créées pour les joies et les accidents de la vie et durant la Seconde Guerre Mondiale, de nombreux travailleurs nord-africains jouent un rôle dans la protection d'artistes juifs algériens comme le chanteur Salim Hallali qui échappa aux rafles pendant l'occupation allemande grâce au recteur de la Mosquée de Paris qui lui fournit une fausse attestation le reconnaissant comme musulman.

À la fin des années 1940, Salim Halali inaugurera ainsi dans le 8e arrondissement, les célèbres cabarets “Ismaïlia Folies” situé Avenue Montaigne et “Le Sérail” situé sur la rue du Colisée.


> Extraits de l’article “Spectacle : "Cabaret Tam Tam" réveille les nuits orientales de Paris” publié dans le magazine Le Point le 05/03/2016


Chronologie

« La plupart des artistes travaillaient à l’usine et venaient le soir se produire sur scène, abordant des thèmes aussi variés que l’exil, la femme, la condition de travailleur, l’amour, l’amitié mais aussi des revendications sociales » »
— Meziane Azaïche, fondateur et directeur du Cabaret Sauvage
 

Les cabarets & la musique de l'exil

 

Arborant des décors sculptés dans le plâtre et les enduits stuccés, dans ces intérieurs décorés d’épaisses toiles de brocarts et de velours, on tâche de reproduire l’imaginaire oriental.

Sur scène se produisent des orchestres, des danseuses et des chanteurs algériens, pieds-noirs, juifs, musulmans, turcs, arméniens ou égyptiens.

Les figures musicales de l’époque sont entre autres le jazzman algérien Mohamed el Kamal et le crooner judéo algérien à la voix flamboyante, Salim Halali, qui enregistre ses premiers disques 78 Tours et y interprète des sevillanas en arabe.

Dans ce contexte, c’est en 1949, dans le 5e arrondissement de Paris, rue Saint Séverin, que Mohamed Ftouki ouvre son restaurant qui deviendra le mythique Cabaret TAM TAM, acronyme pour Tunisie, Algérie, Maroc ; l’appellation "Le Grand Maghreb" lui ayant été refusée par la Préfecture de police de Paris, dans le contexte colonial qui, naturellement, s’opposait à cette notion de grand Maghreb.

Concerts et danse orientale, Mohamed Ftouki y invite les vedettes de la musique orientale de l’époque et pousse sa fille encore enfant à chanter sur scène. Elle s’appelle Ouarda Ftouki, et deviendra plus tard la grande Warda El Djazaïra, une star absolue de la musique dans le monde arabe.

Là se réunissait le Tout-Paris de la chanson, du cinéma ou de la politique. On pouvait y croiser Jean Marais, Cocteau évidemment, Brigitte Bardot, Delon, Belmondo, mais aussi Marlon Brando, Rita Hayworth et dans un autre registre François Mitterrand, tous venus goûter à ces petits éclats d'Orient-sur-Seine.

Dans ce lieu mythique, le druze Farid El Atrache (un prince syro-libanais devenu l’un des plus grands chanteurs et joueurs de luth (oud) du monde arabe) y interprétera ses mélopées mélancoliques et y gagnera le surnom du « chanteur triste ». La tunisienne Safia Chamia, l'algérienne Thouraya y feront aussi leurs premiers pas, tout comme les chanteurs sépharades Line Monty, Maurice El Médioni ou encore Joseph Hageege.

“Les cabarets sont fréquentés par une clientèle huppée, les vedettes {…} ” retrace Naïma Yahi (voir ci-dessous dans les ressources). “Les travailleurs immigrés n’ont pas les moyens de glisser le petit billet de 500 francs dans le décolleté de la danseuse orientale et fréquentent plus les cafés. Les cafés sont les centres sociaux où l’on va à la recherche d’un écrivain public, mais aussi où l’on écoute de la musique pour pleurer, boire ou jouer aux dominos.”

La danseuse Hakim, repérée par un producteur américain en 1952 au cabaret parisien El Djazaïr, ici dans le film South of Algiers (1953) - Crédits : Haywood Magee / Picture Post / Hulton Archive Getty

Mohamed Ftouki, propriétaire du cabaret TAM TAM et père de la chanteuse Warda.


> Extraits de l’article “Spectacle : "Cabaret Tam Tam" réveille les nuits orientales de Paris” publié dans le magazine Le Point le 05/03/2016

> Extraits de l’émission “Le Cabaret Tam Tam en quelques mots” dans le cadre de l’entretien d’Anne-Laure Lemancel avec Naïma Yahi, historienne, à propos des cabarets orientaux de Paris pour RFI Musique, 23/03/2015



La fascination pour le féminin et l’érotisation de la danse arabe

Au XIXe siècle, l’Orient est « un champ fermé, une scène de théâtre attachée à l’Europe». Il fascine autant qu’il effraye par sa différence.

Outre la littérature et la peinture orientalistes, les expositions universelles et le music-hall participent de la construction d’un imaginaire qui conditionne la perception de l’Orient par le public.

Ils nourrissent, par exemple, le fantasme de la femme orientale exécutant une danse exotique à caractère érotique. Après les années 1940, qui marquent la fin du « genre exotique », la « danse orientale », plus communément appelée « danse du ventre » (péjoratif), ne cesse de souffrir de l’image réductrice d’une attraction populaire vouée à séduire un public à dominante masculine.

À l’aube du XXIe siècle, les danseuses orientales sont appréhendées à travers le prisme de l’imaginaire orientaliste construit initialement sous la plume et le pinceau des écrivains et des artistes.

Le célèbre tableau d’Eugène Delacroix, Femmes d’Alger dans leur appartement (1834, musée du Louvre, INV. 3824), nous invite à entrer dans l’intimité étrange mais fascinante de trois femmes orientales. Le temps semble suspendu dans cet espace confiné et envahi de luxueuses étoffes.

Dans Le Bain turc (1862, musée du Louvre, RF 1934), Jean-Auguste-Dominique Ingres fait triompher les lignes sinueuses de créatures nues et alanguies autour d’un bassin. Les artistes orientalistes donnent corps à la plus célèbre des odalisques, Shéhérazade, en fixant la femme orientale, mystérieuse et sensuelle, dans un lieu clos fantasmé par l’œil masculin. Le harem représente aux yeux des Occidentaux « un paradis sexuel » où les femmes acceptent leur condition de captive asservie au plaisir masculin.

L’actrice et danseuse Aysé Nur Nana (plus connue sous le nom d’Aiche Nana), présentée ici lors de son numéro dans un cabaret parisien.

En 2003, le journal Le Parisien publie un article sur le spectacle Zikrayat de la danseuse orientale Leïla Haddad. Le journaliste ne peut s’empêcher de faire référence aux célèbres artistes Ingres et Delacroix : « Ce spectacle ensorcelant est une célébration de la féminité dans la moiteur tiède et secrète de quelques palais orientaux. Les costumes en voiles et mousselines sont d’un exotisme de harem et font penser à l’orientalisme des tableaux de Delacroix, Chassériau, Ingres ».

Danseuse inconnue, Inde

La deuseuse indienne Shanta Rao : Le bharata natyam, auparavant appelé Sadhir Attam, est une forme majeure de danse classique tamoule originaire du Tamil Nadu en Inde. C'est l'une des plus anciennes danses traditionnelles indiennes. Mélange de danse classique et d'art martial à la base, elle est liée aux pratiques religieuses dès son origine.

 

Le statut artistique de la danse orientale

L’association faite entre la danseuse arabe et la prostituée n’a cessé de conditionner la perception des danseuses orientales depuis le XIXe siècle. Lors des expositions universelles et coloniales, les Français assistent aux prestations des ouled-naïls dans le Café maure du pavillon de l’Algérie ou des ghawâzî dans la rue du Caire. Leur mise en scène pittoresque à connotation orientaliste et coloniale conforte l’image archétypale de la « danse du ventre ». Par l’emploi même de cette expression, le public la réduit à un numéro de divertissement ambigu.

D’un point de vue formel, la danse orientale se caractérise par la libre expression du corps. En l’absence d’un langage technique codifié et d’un répertoire chorégraphique, nombreux sont ceux qui y voient un simple trémoussement du corps destiné à divertir le public. Il existe, bien sûr, des principes fondamentaux communs à toutes les danseuses, tels que les mouvements ondulatoires et vibratoires du ventre. Malgré tout, le déficit de cohérence éducative et l’apparente simplicité technique de la danse orientale constituent des obstacles à sa reconnaissance artistique parmi les professionnels de la danse et le public.

La danse indienne, aux yeux des occidentaux, apparaît au contraire beaucoup plus complexe et savante, au statut de sculpture vivante, et est définie comme une pratique artistique par le monde de la danse français.

Une telle différence d’appréciation relève du paradoxe dans un contexte postcolonial favorable à la reconnaissance et à la rencontre des singularités culturelles : l’évolution du système de représentation des danses extra-occidentales et de leurs interprètes aurait en effet conditionné la distinction de valeur des danses orientale et indienne.



 
 

Chanter, danser : des actes d’émancipation et de résistance

Si les chansons que l’on interprète dans les cabarets brodent sur les thèmes de l'amour, elles abordent aussi beaucoup ceux de la séparation et le mal du pays.

Nourrie aux héritages de la musique arabo-andalouse (voir notre playlist “Al Andalous y la sangre negra”), du Maalouf, du Chaabi et des classiques égyptiens, la musique arabe trouvera dans ces cabarets une formidable scène artistique.

Dès les années 1930, l’artiste algérien Mohamed al-Kamal chante la rudesse du climat de France, la précarité de l’immigré et s’impose comme l’un des pionniers de la chanson de l’exil (el ghorba) à enregistrer en France.

Comme dans les musiques des luttes anticoloniales et post-coloniales, les femmes occupent également une place centrale. L’immigration maghrébine étant initialement dans sa temporalité masculine, les femmes de la première génération de l’immigration sont d’abord des sujets dans un répertoire qui chronique les cœurs tourmentés par l’amour, l’épouse restée au pays, la nostalgie de la terre natale, puis elles deviennent des artistes de premier plan. 

Au tournant des années 1950, les femmes commencent à s’installer en France métropolitaine, les chorales de femmes kabyles sont les premières à se produire notamment sur l’antenne de l’ORTF

Les Kabyles Ourida Aït Farida ou Bahia Farah chantent les premiers duos avec les chanteurs de l’exil comme le légendaire Slimane Azem, artiste et ouvrier à l’usine.

Beaucoup des artistes sont des ouvriers-artistes {…} « Ces artistes-chanteurs chroniquent leur quotidien par nécessité de survie, explique Naïma Yahi. “A Moh A Moh”, de Slimane Azem, qui s’adresse au poète Si Mohand, raconte l’exil sans retour, qui est un leurre, on croit qu’on rentrera, et un an, dix ans passent, on est toujours là. C’est cet emprisonnement dans l’exil qui est chroniqué. »

1er janvier 1955, Marcel Mouloudji chantant sur la scène d'un cabaret à Paris


> Extraits de l’article “Quand la musique sert l’émancipation des immigrés et de leurs enfants“ publié par Médiapart dans le cadre de l’émission MAGHREB EXPRESS


 
 

Militant de l'Etoile nord-africaine. 1936. Photographie de Marcel Cerf © Marcel Cerf / BHVP / Roger-Viollet

Le 5 juillet 1962, jour de l’indépendance de l’Algérie, dans le bidonville de La Folie à Nanterre. Photo prise par Monique Hervo © Monique Hervo, Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, MHC

À l’aube de l’indépendance de l’Algérie

Dans ces cabarets aux noms évocateurs comme El-Koutoubia (rue des Écoles), La Casbah (rue de la Harpe), Le Bagdad (rue Saint-André-des-Arts) ou Les Nuits du Liban ; au fil de nuits interlopes, le Paris de l’élite intellectuelle, sportive, littéraire, politique, venait chercher son rêve d’Orient, goûter à la gastronomie “exotique”, et se délecter des musiques d’ailleurs... S’y croisaient, dans un respect mutuel, bandits, proxénètes, poètes, écrivains, musiciens, juifs, chrétiens et musulmans issus du monde arabe.

L’immigration maghrébine, comprenant encore peu d’immigration familiale, est marquée par un fort taux de rotation des immigrants. À plusieurs reprises, les retours l’emportent sur les départ, notamment au moment de la crise de 1929. C’est aussi dans cette émigration que se forment la plupart des leaders nationalistes maghrébins (voir à ce sujet les travaux de Benjamin Stora ci-dessous)

À l’aube de l’indépendance de l’Algérie, la communauté immigrée devient un enjeu du conflit aussi bien pour les nationalistes algériens que pour les pouvoirs publics français. Sa mobilisation est décisive dans la lutte pour l'indépendance.

L’univers des cabarets orientaux rattachent ainsi la promotion des identités artistiques du Maghreb et du Machreq (Moyen-Orient) aux luttes contre la colonisation.

À la fois lieu d’espionnage pour les Renseignements généraux et de rencontre pour des militants du FLN venus collecter des fonds, au sein des cabarets orientaux l’on voyait poindre l’horizon d’une émancipation. Des musiciens, formés dans ces cabarets, rejoignaient la troupe artistique du FLN.

En 1956, après le déclenchement de la guerre d'Algérie, des armes destinées au FLN sont découvertes par la police dans le cabaret TAM TAM. L'établissement est fermé par la police et la famille Ftouki expulsée, ira se réfugier en exil au Liban.

Le 5 Juillet 1962, l'Algérie devient indépendante à l'issue d'une guerre de 8 ans contre la présence coloniale française, une présence qui dura 132 ans.


> Extraits de l’article “Cabaret Tam Tam, les 1001 nuits d’Orient” publié par RFI Musique le 23/03/2015


 
 

Dès la fin de la guerre d’Algérie, la plupart des cabarets connaîssent un déclin inexorable qui les contraint à fermer leurs portes.

FIN

 
 

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Ressources autour de la thématique


Entretien croisé


Mariem Guellouz

Maîtresse de conférence en sciences du langage à l’Université de Paris Cité, Mariem Guellouz mène un travail de recherche et de terrain dans les pays du Maghreb dans le cadre de l’analyse des pratiques corporelles et artistiques et travaille sur la possible émergence d’une danse contemporaine dans les régions du monde arabe.

  • Elle est également artiste performeuse, danseuse orientale et directrice artistique du festival « Les journées chorégraphique de Carthage » en Tunisie, une manifestation qui a pour but de sensibiliser le public tunisien à la culture et à l'univers chorégraphique.

    Dans le cadre de notre sujet sur l’histoire des cabarets arabo-orientaux dans le Paris du quartier latin (de 1930 à 1970), lafondamentale a invité Mariem à mener cette conversation, préciser certains détails et apporter des éléments de réponse ou une lecture plus profonde des contextes artistique et politique de l’époque par le prisme de la sémiologie, des sciences sociales, de l’anthropologie, de l’art et de la philosophie.


Personnalités expert•e•s


 

Hajer Ben Boubaker

Chercheuse indépendante sur l’histoire des musiques arabes et des luttes ouvrières de l’immigration nord-africaine.

Elle est créatrice du podcast Vintage Arab (présenté ci-dessous), et productrice de documentaires audio pour France Culture (voir sa série documentaire, Une histoire du Mouvement des travailleurs arabes (MTA), diffusée en octobre 2021).

Naïma Yahi

Spécialiste des musiques maghrébines, Naïma Yahi a à son actif, plusieurs travaux dont un doctorat sur l’histoire culturelle des artistes algériens en France (1962-1987), mais aussi des expositions, et des comédies musicales comme Barbès Café.

Elle est directrice adjointe de l’association Villes des musiques du monde.


Podcast


 

Vintage Arab est une série de podcasts consacrée au patrimoine musical arabe. Les émissons sont disponibles sur soundcloud et d'autres plateformes de podcast. Les émissions sont en arabe et en français.

Ce podcast est conçu et produit par Hajer Ben Boubaker, chercheuse indépendante qui mène un travail rare et précieux sur les musiques arabes et les luttes de l’immigration.

Écouter sur Soundcloud, Apple Podcast ou Spotify


Livres


Algériens en France 1954-1962. La guerre, l'exil, la vie

par Linda Amiri et Benjamin Stora

Editeur : Autrement (Editions)

Parution : 03/10/2012

Nombre de pages : 223p

Ils venaient d'Algérie : l'immigration algérienne en France : 1912-1992

par Benjamin Stora

Éditeur : Fayard

Parution: 1992

Nombre de pages : 492p

 

Vidéos


La danseuse égyptienne Soheir Zaki

 

La danseuse Naima Akef